Tombée du ciel, petit parcours biograpgique
- marie pervenche ruiz
- 8 juil.
- 23 min de lecture
Je viens d'un milieu bourgeois, à la campagne, mon père est médecin , ma mère prof de math. , on est cinq enfants, je suis la troisième. Un univers assez austère...catholique quoi !
Donc bazar en sixième + cinquième catastrophe = lycée privé !
Là-bas, y'avait des tenus réglementaire à respecter et moi j'adorais les mini-jupes... vraiment ça me faisait kiffer !
Je ne sais pas comment j'ai réussi à avoir « the » mini-jupe, mais à peine entrée dans le lycée, , madame Chouillac – bouche de travers, œil en biais et jambe plus courte que l'autre – me héla du haut de l'escalier :
« PEEEEERVENCHE, vous viendrez dans mon bureau à treize heures ! »
Très mauvais signe ! C'était la seule qui retournait sa bague pour donner des claques et laisser une bonne grosse marque sur la joue… En gros, en allant dans son bureau, tu devais être prêt·e à t'en prendre une !
Et je m'en suis pris une… Une bien bonne… poésie !
« Vous allez apprendre La Conscience de Victor Hugo ! »
(Sans doute pour bien me faire sentir que, quoi que je fasse… dans le plus grand secret, on me voyait. Mais… dans le plus grand secret !)
Je ne sais plus combien de pages y avait… Mais tous les jours, pendant la récré, je devais lui réciter une strophe. J'ai dû mettre, sérieusement, trois ou quatre mois à la savoir en entier. La dernière phrase, c'était : « L'œil était dans la tombe et regardait Caïn. »
Et maintenant… et pour toute ma vie… je me souviendrai de cette dernière phrase !
C'était « MA» dernière phrase apprise par cœur… mais je ne suis pas sûre que ça fasse une bonne épitaphe ?
Les établissements privés, c'est privé, très privé, et c'est très difficile de faire le mur. La première fois que je me suis échappée, deux minutes aprés mes parents étaient au courant. Je leur ai simplement dit : « Ben oui, écoutez... oui ! Je sèche... aujourd'hui, je sèche ! »
Impossible de m'échapper tranquille, je me suis échappée dans la défonce et partie sur ma lancée : en Angleterre...direction squat, juste après le bac… logique !
Quand on arrive à Londres, c'est pour vivre l'aventure : donc squat, acide, rave party underground. On est dans les années 90-95, ambiance bien défonce... On squattait une maison qu'était pas mal, mais on travaillait quand même la journée pour se faire de la thune. Le but : économiser pour partir en Inde et faire comme tous les junkies...se défoncer au Népal et à Katmandou
Je me pose souvent la question de savoir ce que je cherchais à traverser ces expériences, mais je ne sais pas si j'arriverai un jour à y répondre. Ce qui est sûr, c'est que je cherchais un paradis perdu… ou pas ! En tout cas, un autre monde qui me conviendrait mieux.
Je l'ai certainement trouvé au début, parce que la drogue, c'est cool, c'est euphorique, on voit les choses différemment et on bascule « vraiment » dans un autre monde. Mais à force, ce monde merveilleux, ben il devient fade, on devient parano, plus rien ne nous fait rire, et ça devient l'enfer !
Chercher le paradis, trouver l'enfer… Je ne sais pas pourquoi j'ai persévéré ! Si, si, je sais : une quête de liberté, c'est ça… Ne plus chercher le paradis, chercher la liberté. Mais au bout de deux ans de défonce – ouais, bien deux ans – rebelote !
Ça aussi, ça a fait l'effet contraire : je me suis retrouvée prisonnière et malheureuse. Ce n'était pas non plus la bonne idée du siècle, ni la bonne route vers la liberté !
J'aimais beaucoup la musique – ça, c'est la première chose – quand on est rentrées de New Delhi, j'ai relevé la tête, j'me suis vue dans la glace du squat de la Camden, et je n'ai plus retrouvé le visage de la Marie-Pervenche que je connaissais. Sur ce visage y'avait comme tatoué une phrase de mon grand frère : « C'est bizarre, avant tu étais une fille hyper-joyeuse, gaie, et là, tu n'es plus ça, tu ne souris plus ! »
ça m'a saisi à la gorge, et peut-être même un peu ailleurs. Alors je me suis dit : « Bon, allez, hop, direction retour à la maison. »
Arrêter la drogue, ça ne se fait pas du jour au lendemain… mais bon, un choix assez radical quand-même... même si… un peu encore… parce que bon… la drogue, quoi !
En fait, pour dire la chose un peu plus exactement, je me suis complètement raccroché à la musique. Je me suis dit : « Qu'est-ce qui te reste ? Les études ? » J'avais juste mon bac, et franchement, ça ne m'enchantait pas plus que ça. Mais la musique, ça, oui, ça… j'aimais ça !
Mon hautbois… C'est à cette idée que je me suis raccrochée. J'ai donc écumé les écoles d'art à la recherche d'un endroit susceptible de faire de moi « the » musicienne !
C'était une école très particulière, une école où, pendant un an, on était en immersion totale avec une troupe. Il y avait un mec très beau, et quand je l'ai vu aux portes ouvertes, j'ai dit : ouah, passer un an avec ce mec-là, ça ne se refuse pas, même si, à cette époque, j'avais les cheveux rasés et que mes chances s'en trouvaient quelque peu limitées, même si apparemment, y'avait pas que des meufs qui lui couraient autour !
J'avais aussi emmené une copine aussi, avec qui j'étais parti en Inde, parce qu'à la base, cette école de théâtre, je la trouvais avant tout intéressante pour elle… Moi, c'était la musique.
La veille des portes ouvertes, on avait pris tellement d'acides qu'on s'est retrouvés sur scène encore décalqués. On n'a rien pu sortir.
Par contre, il y avait ce gars magnifique qui sautait partout, il improvisait, j'étais fasciné, et je me répétais sans cesse… ouais, quand même !
C'était un être lumineux, et quand ma copine Elo s'est barrée, je lui ai dit : Désolé, je reste !
Bon alors, je vais être honnête : j'étais très, très, très mauvaise en théâtre. Les profs se sont arrachés cheveu après cheveu, et certains sont même devenu chauves aprés ça.
Il fallait faire des choses… Quoi ? Je sais pas… mais des choses ! Apprendre des textes, par exemple, tout ça, tout ça… Mais dès qu'il fallait être sur scène, c'était la cata. Je restais plantée là où on m'avait posée, droite comme un « i » , sans bouger, souvent en plein milieu, puisque paraît-il, c'est d'ici que tout ce qui devait advenir, devrait... pourrait… advenir… Mais en fait, non. Rien ! Nicht ! Nada !
Complètement démunie, je ne faisais rien, absolument rien, simplement parce que je ne pouvais rien faire. J'étais figée... mais mon figeage était en réalité une présence, une présence plus intense que toutes les interactions bidon du monde. J'étais là, plantée comme un piquet, avec mes gros yeux ronds.
Évidemment, je me faisais engueuler, et ça, c'était normal : Mais écoute, tu te fous de notre gueule... Fais au moins quelque chose !
Rien... toujours rien... le vide absolu... le vide pur, le bon grand vide pur.
Ils pensaient que je me foutais de leur gueule, et ça aussi, c'était normal qu'ils le pensent.
Mais ce n'était pas du tout ça. J'avais en réalité, au fond de moi, un réel plaisir jubilatoire à être sur scène, à regarder ces gens et à ne rien dire. Ça les mettait mal à l’aise, ça leur foutait la « gênance », et moi, cette sorte de malaise qui se dégageait, je m’en nourrissais comme d’un nectar, un nectar rare et intense que je savourais en prenant mon temps !
C'est comme ça qu'on se retrouve à faire des rôles muets.
J'étais Zimmerl, le technicien pas très fute-fute qui amène un escabeau pour allumer les ampoules avec des allumettes et les éteindre en soufflant dessus !
C'était même pas drôle !
J'ai toujours aimé provoquer un malaise, même à l'école, dire des choses un peu provoc', à la limite du « on ne sait pas quoi en penser ! ».
Et là, pour la première fois de ma vie, je venais de le rencontrer en chair et en os, le fameux malaise, là... sur scène... et en ne faisant absolument rien, sous mon escabeau pendant une heure, surtout rien.
Ça, j'ai aimé... non, mais ça, j'ai vraiment aimé !
C'est mon point de départ performatif, mais je n'en ai pas eu conscience sur le coup.
Tout ce que je sais, c'est que je n'aimais pas la scène – et que je n'aime toujours pas les scènes où l'on me dit quoi faire.-.J'aime les scènes où je suis là... juste là !
Les éléments de la scène que l'on dispose me gênent parce que c'est faux, impossible de rester juste et honnête avec tout ce faux. Du coup, je suis parti à la recherche de la vraie vie pour y inscrire ma propre vision de ce qu'est une scène !
Les personnes, le décor, c'est pareil !
Les gens qui passent, qui vont me toucher physiquement, voilà où se trouve ma scène.
Ça peut être aussi un lac avec des bruits de lac, des petits oiseaux avec des bruits de petits oiseaux... C'est là que je suis à l'aise... chez moi... moi !
Dans le réel, il n'y a pas de cadre, et c'est ce côté de la performance que j'aime ! L'inattendu... moi dans cet inattendu ! Rien n'y est jamais totalement prévu.
Je visualise en général assez bien dans ma tête, mais dès qu'arrive le jour J, ça n'a plus rien à voir... Même si je sais ce que je dois faire, l'imprévisible se ramène… et c'est tant mieux !
Pour moi, c'est véritablement là, le côté jouissive de la chose... J'ai calé ma performance et paf ! Nouvelle histoire... Nouveau monde... Ouverture sur l'infini des possibles !
J'ai mûri mon art dans l'ombre du travail de commande pendant des années. Je travaillais avec ma meuf, c'était de l'art véritable, mais ce n'était pas MON art !
Il fallait à tout prix que je sorte du travail à deux, que je développe un art à moi… perso !
L'écriture, la musique, la peinture, c'était complètement foiré… du coup, il me restait la performance !
Pour ma première performance un peu médiatisée, mon but, mon défi presque, c'était d'imposer une performance non prévue dans un lieu de la hype… à Paris, donc !
La FIAC, c'est des places à 10 000 €, et mon intention, c'était juste de montrer la présence vivante de l'art en train de se faire dans un lieu réservé à l'art , mais inaccessible aux artistes . Bref… j'avais ma tenue sous mon manteau, pas encore ma cagoule ! Fallait faire gaffe, parce que l'entrée était très surveillée – Covid oblige.
On passe en loucedé le strapontin, les bananes, les appareils photo et tout le tintouin. Je commence à me dégonfler un petit peu, puis à me regonfler, puis à me redégonfler… Bref, je vais aux toilettes, puis au bout d'un moment, je me dis : bon, allez, ça suffit, et au moment où j’ai décidé… c’est parti !
Je pose mon strapontin, j'enlève mes habits, je mets ma combi, je mets ma cagoule, je mets mon foulard, je me mets debout sur le strapontin, je pose dans une assiette la banane et dans l'autre, la pomme et je tiens comme ça le plus longtemps possible... Et là... j'adore ! C'est bon... formidablement bon !
Mon bandeau sur les yeux, j'entends ce qui se passe... Les gens, les enfants surtout ! Il y en a qui pose des questions : « Est-ce qu'elle est vraie ? C'est une statue ? »
Mais puisqu'on est dans un lieu d'art certifié, je suis vite identifiée : c'est une performeuse !
Les gens pensent que c'est prévu – cadeau des organisateurs – mais je perçois la sécurité qui m'entoure sous la pression d'une foule qui s'amasse... Je ne suis pas dégagée !
Quoi de plus normal qu'une artiste dans un lieu ? Certains disent que ça fait du bien de voir enfin une performance !
On est à la Fairy Art, y'a une artiste qui est là, tout le monde s'arrête, les bruits, les respirations s'arrêtent aussi ... 20 minutes. Fin de la performance, la pomme tombe, la banane aussi, je marche à quatre pattes, je m'assois, et là... moment de grâce, cadeau de la performance :
la seule personne de ce lieu qui n'en a rien à taper. La seule personne qui ne voit qu'une autre personne assise sur un tabouret, un humain en dehors du truc, simplement face à un autre humain en dehors du truc. Deux êtres humains en dehors du truc mais sur qui repose tout le truc.
Une artiste performeuse et un agent d'entretien qui : avec ses gants et son sac-poubelle à la main, ramasse ma pomme, me regarde, comprend que c'est à moi, me la tend :
C'est à vous ?— Oui oui, merci !
ODE AU TITANIC
Bon, le rapide petit « parcours » biographique, ça c’est fait... and now ? (roulement de tambour) Le plaisir de vous convier à un premier voyage : la croisière Paquet !
La croisière Paquet, c'est genre un énorme bateau sur lequel mes grands-parents nous invitaient, donc la croisière pour gens pas très pauvres !
... Là, c'était la Norvège.
On arrive, on est reçus comme des rois, un truc bien ficelé : on a nos petites chambres, petit déj. servi au lit avec la seule ÉNORME contrainte de marquer sur nos portes l’heure à laquelle on doit nous le porter sur un plateau . Ensuite, y'a les dîners prévus dans les salons un, deux, trois, quatre, cinq, suivis d’un spectacle. Après, c’est casino puis boîte de nuit, voilà… c’est ça la croisière Paquet !
En bas, c'est - ils sont même pas payés, d’ailleurs ! - des personnes venues d’Asie, des femmes de ménage qu’on cache dans les cales. Pourquoi ? Sans doute des mermaids !
Et voilà, hormis la vie des mermaids, ça n’a pas beaucoup d’intérêt parce que c’est figé… même le bateau ! Quand y'a des vagues, ben y bouge pas et c’est triste ! T’es sur un bateau, t’es sur la mer, mais ça bouge pas… sauf si t’es sur le Titanic évidemment, mais là, c’est pas de bol !
En fait, Paquet, c’est le voyage carte postale : pour cinq étoiles, t’as la piscine, t’as le sauna… et tu rencontres personne !
Ce qui est bizarre, c'est qu’on est quand même hyper nombreux.ses et qu’on erre dans un no man’s land ? Ça a beau être magnifique, ça reste complètement lisse, un peu Truman Show, une sorte de vide existentiel, pas d’émotion, tout est surfait… Là encore, quelque chose d’un peu triste !
La déception d’être « passé à côté », surtout parce que j’aurais bien aimé que… je sais pas moi, une rencontre un peu particulière… D’ailleurs, j’ai essayé de discuter avec les mermaids et les tritons du sous-sol, mais en fait, c’est toujours le « Oui madame ! », le « Merci madame ! » de ceux à qui on a interdit tout contact avec les humains de la surface. Donc oui… échec !
Et c’est rare… d’habitude, j’arrive toujours à trouver la faille, à déclencher quelque chose, même une catastrophe, mais là, impossible de réveiller la vie, comme si, pendant une semaine, on était projetés dans la mort... hors du temps !
Déception, déception, déception… Même mes grands-parents, j'ai pas pu les rencontrer, fût-ce au détour d'une activité !J'aurais pu me dire : c'est parce qu'en fait, on est trop occupé, mais non, j'ai vraiment l'impression qu'on pouvait pas faire autrement que se faire chier !
À part… faut quand même le dire, mon cousin super beau avec qui j'ai pu discuter. Donc ça, c'est vrai, c'était cool ! Mais sinon, ouais, une sorte de déception d'avoir bêtement perdu mon temps !
Je pense qu'il aurait fallu, pour que la croisière soit réussie, qu'on se cogne dans un rocher… Par exemple !
Un feu sur le bateau, ou que je tombe sur un·e amoureux·se, une aventure, quoi ! Une aventure… tiens, c'est bien ça… une aventure !De la peur aussi, mais… j'vois même pas ce qui aurait pu se passer… Si ! Qu'on ait perdu quelqu'un au retour d'une de nos expéditions terrestres !Retour de l'expédition, et bing : il manque quelqu'un, voilà ! Un meurtre – pourquoi pas ? Comme dans un bon Agatha !
Ouais, il manquait ce p'tit grain d'sable qui fait que tu t'en souviens toute ta vie. Parce que là, la croisière Paquet, ben j'ai rien à raconter du tout en fait. Je me souviens même pas des paysages !
Avec deux copines, on a donc pris le chemin des mermaids et on est parties en sac à dos sans savoir où on allait.
À New Delhi, c'était l'aventure toutes les trois minutes… Peur de se faire violer, frayeur parano, crainte d'être si différentes, si repérables…
Pour les racistes riches , colonisatrices blanches à la recherche d'émotions fortes et d'appropriation culturelle dans les pays pauvres, tous les Indiens se ressemblent !Donc, l'impression d'être tout le temps suivi alors que pas du tout : les gens n'en avaient simplement rien à foutre de nous !
Perdues… sensation d'être perpétuellement malade… l'Inde, oui !
Et parce que c'est complètement l'aventure, j'aurais aussi plein d'anecdotes à raconter.
Dans le genre intime mais pas trop : j'étais dans un p'tit bar à Katmandou… sans mes copines évidemment – je ne sais pas pourquoi – et puis t'as un mec qui se ramène et dit : « Ouais, est-ce que tu veux que je te fasse visiter un peu les alentours ? » J'dis : « Ouais… trop cool ! »
Il devait être vingt heures !Donc là, tu pars avec un mec, le mec tu le connais pas, tu vas derrière sa mobylette, puis t'arrives dans un endroit un peu à la campagne, paumé… tu sais pas du tout où t'es, et il t'emmène dans une sorte de petit bar avec des rideaux.Personne ! Sauf un mec qui connaît ce mec, et là tu sens que le plan est un petit peu foireux.
On te fait comprendre qu'il y a une chambre à côté… et c'est parti pour les grosses caresses de bons gros forceurs !
Heureusement, j'ai réussi à me barrer, mais ça : je m'en souviendrai toute ma vie !
Une autre fois, un chien errant a eu l'ingénieuse idée de venir planter ses crocs dans mon mollet, impossible de le faire lâcher !
Pour couronner le tout, des Hindous sont venus me dire de faire attention à la rage… la rage ?
Ok, la prochaine fois je ferai attention… déso !
Direction le dispensaire à dos d'éléphant pour les trois injections !
Imagine le plan : t'es dans un village retiré, t'as hyper mal, t'as hyper peur et tu te retrouves sur un éléphant… ben ça, c'est tout le temps comme ça en fait, et c'est systématique, je peux t'en raconter des tonnes !
Dans une forêt, y'avait plusieurs sâdhus qui pouvaient faire des choses extraordinaires. Y'en avait même un qui prétendait soulever une grosse pierre qu'il avait entourée avec sa bite. J'ai pas eu le cœur de voir ça, mais ma copine G. l'a vu et c'est vrai, c'est faisable !
Bon voilà, ce genre de trucs…
Je me défonçais pas mal aussi, donc y'avait des moments où je prenais de bons gros bhang lassi. Les bhang lassi, c'est des yaourts à l'herbe et après, pendant toute la nuit – bon, c'est sûr que là, c'est pas les yaourts de la croisière Paquet ! – t'es complètement défoncée.
En fait, quand t'es défoncée dans un pays pauvre, tu te fais vraiment de grosses frayeurs, d'autant que t'es la seule fille et qu'en plus t'as la tête rasée…
Je ne sais pas pourquoi j'avais tout rasé. Mais bonne question !
On m'a dit que le cheveu rasé, c'était la femme qui avait perdu un peu plus que sa touffe du haut… genre un mari, par exemple, voire beaucoup plus… et qui, au final, s'était retrouvée dans l'obligation de devoir vendre ce qu'il lui restait de corps .
Donc, dans le train, les mecs me touchaient les cuisses à fond… tranquille !
J'étais devenue une prostituée comme les autres ! Il n'y avait plus de blanche qui tienne, plus de mermaids, plus rien, seulement une fille comme quelques autres du coin et des mecs, comme tous les mecs de partout… point !
En plus, les nuits où t'es défonce dans la rue… pfff… beaucoup d'aventures à raconter !
À la base, je considérais déjà le voyage comme un acte performatif, et toute expérience nouvelle se devait d'être une forme de performance ou ne devait pas être ! La plupart du temps, elles étaient d'ailleurs réussies, expériences avec la drogue, certes… mais pas que !
Chaque seconde à l'étranger devait s'expérimenter à fond, il fallait essayer quelque chose de nouveau. Dans mon esprit, le voyage : c'était le phénomène le plus transcendantal qui soit. Et c'est sans doute pour ça que j'ai voulu accoucher sur l'île de la Réunion !
À l'époque, j'étais à Lyon et j'ai dit : Non, pas possible ! Je peux pas faire une grossesse dans un studio aussi sordide, allons mon amie couver au soleil !
Le jours où j'ai dit ça, c'était illocutoire ! Déjà, j'étais allongée sous les palmiers avec la mer en toile de fond, déjà quelque chose de complètement, littéralement cul-cul : l'eau, la plage, le soleil au milieu d'un grand ciel bleu sans nuage... tellement hors sol par rapport à ma vie de Lyon !
Alors avec ma meuf encore déguisée en homme, on a débarqué comme d'hab, c'est à dire sans un sou !
Là-bas, c'était la bohème à fond, je faisais de la musique, on vendait nos toiles, et très vite on est devenues les artistes famous de l'île, une vie très cool, sans doute… très créole ( appropriation quand tu nous tiens ! ).
Alors, la vie créole, c'est quoi ?
Ben, en gros, c'est : tu vas à la plage, tu fais des pique-niques, tu fais du rougail saucisse, t'as des copains yabs des hauts, malabars, chinois, malgaches... pratiquement pas de copains métros, et tu te balades dans l'île... C'est ça, la vie créole pour des zoreilles !
Il ne se passe pas grand-chose, mais t'es comme envahi par un paisible sentiment d'exil. Et ce côté loin de la métropole... c'est vraiment ça dont j'avais besoin !
Loin… loin... ça m'a fait tellement de bien !
Beaucoup de contacts aussi avec la population locale, ce qui est assez rare pour des zoreilles – le zoreille reste généralement entre zoreilles ! – : c'est à la mission locale que j'ai commencé à me faire des potes !
On se retrouvait dans des quartiers soi-disant craignos avec plein de copains qui fumaient du zamal et pratiquaient les allocations braguettes une ribambelle d'enfants et deux trois femmes . Quelques basses œuvres aussi pour les Vergès et autres figures locales pas très recommandables. On jouait surtout du maloya dans un hangar et on a même enregistré un CD sur lequel je rajoutais une ligne de hautbois... Après, on faisait quand même notre business avec les zoreilles qui aimaient beaucoup nos peintures, donc oui, ça marchait pas mal.
Dès qu'on créait « l'événement », il y avait plein de monde qui se déplaçait, la presse venait, la télé aussi avec RFI… Ouais, ça se passait plutôt bien, on vendait bien. C'était des expos par thème, on avait un public de profs, politiques, fonctionnaires de niveau A, retraités, anciens militaires, etc. trop contents d'avoir sous la main deux artistes « de France ». C'était de la peinture commerciale mais assez référencée pour que ça n'apparaisse pas. On s'était aussi créé des personnages cohérents... artistes selon l'imaginaire en vogue !
Et donc voilà, on avait fait notre petit trou dans l'océan et c'était cool !
Au niveau cotations, ça commençait aussi à monter et à sentir assez bon pour nous… Il suffisait de tenir le rythme !
On avait deux mécènes principaux, dont madame Romanens, conservatrice du Musée Goya en métropole : en gros, on était les « pouliches » de La Réunion sur lesquelles il fallait miser, et si ce n'était pas surcoté, ça l'était presque !
En tout cas, on travaillait bien nos rôles d'actrices jusqu'à la limite du crédible : torturées, belles, sup. spaces, intelligentes, cultivées (en toute humilité), artistes engagées, devant se lever la nuit pour peindre sous l'urgence d'une inspiration soudaine.
Tout ce que les gens voulaient entendre, on le leur disait… c'était sans doute pas très moral, mais ce qui était moral, c'était surtout de trouver assez de thune pour l'arrivée d'une enfant dans une vie pas très sécur.
En nous servant de la sémiologie de l'image et des théories sur les réflexes conditionnés de masse relatives à l'usage des symboles par la propagande politique, le style de nos peintures avait été essentiellement pensé pour plaire à un certain public.
Des peintures comme autant de miroirs à rendre plus beau le reflet sociologique d'un potentiel acheteur sous son meilleur profil !
Dans notre petite case en tôle qui ne résistait pas trop aux cyclones, on recadrait des mauvaises coupures de journaux en « tranches de vie », dans lesquelles apparaissaient pêle-mêle la famine au Darfour, le verglas au Québec, l'élection de Václav Havel, celle d'un prête-nom assez médiocre du FSB, un raz-de-marée sur la côte nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la mort d'Edwige Feuillère, la guerre du Kosovo, le naufrage de l'Erika, le début de la seconde Intifada ou la sortie de Dancer in the Dark… Bref, une source quasi inépuisable « d’inspiration » sur le seul critère d’une esthétique se voulant inesthétique… à charge du spectateur de recontextualiser à sa sauce !
Techniquement parfait, c’était une peinture assez réaliste dans l’esprit des monochromes de Monory. Format de à deux mètres cinquante, gravé dans la matière, beaucoup de transparence faite d’un mélange pigment /gomme arabique, une peinture sans doute facile mais qui en jetait ! Tellement qu’un espèce de faussaire sans imagination ( pléonasme ) avait crut bon de prolonger la technique, les thèmes, le style et la signature de l'atelier, longtemps après que l'on soit parties de la Réunion.
Alors pourquoi on n’a pas continué si on était si badass ? Ben, simplement parce que le soir de la plus grosse expo qu'on ait jamais montée, il y avait, au milieu de la foule, une critique d’art du Monde "é que s'apelerio " : Patricia Scott !
Ça, je m’en souviendrai toute ma vie comme d’un trauma sans amnésie !
Elle buvait beaucoup et possédait ce don précieux auquel elle devait sans doute le succès de sa carrière : el vino véritas !
L’expo s’était bien terminée, on avait beaucoup vendu et on buvait, et on buvait, et il y avait Patricia Scott qu'était là ! C’est vers minuit qu’elle a embrayé :
« Ouais, moi je me permets de vous dire ça parce que je pourrais être votre mère et que je suis une artiste loupée, mais vous êtes vraiment deux ados boutonneuses qui vous foutez de la gueule du monde avec votre niveau technique. Si j’étais vous, je rentrerais me perdre dans un coin perdu du Limousin, je me ferais oublier et là, je me mettrais à vraiment bosser… Vous verrez, plus tard, vous me remercierez, car à un certain niveau de la société : on ne trompe pas ! »
Avec Maria, on était tellement sur le cul qu’on s’est regardées dans le blanc des yeux sans pouvoir sortir un mot !
Cette meuf qu’on connaissait même pas se ramène dans notre univers, se permet de dire qui on est, ce qu’on doit faire, en balançant tout notre château de cartes avec une pichenette genre désinvolte.
Mais elle avait touché juste : blessées, détruites, incapables de poser le doigt sur un pinceau… Trois mois après, on était en Limousin comme deux connes à se dire que finalement, il allait peut-être falloir se mettre à « vraiment » bosser !
On était parties sur un projet voyage/grossesse/art et on se sentait invulnérables… il aura suffi d'une phrase !
C'est là que j'ai vraiment pris conscience de la puissance du langage.En y réfléchissant, elle ne devait même pas avoir conscience de ce qu'elle avait dit, ni de l'effet produit. Ou alors était-ce l'effet d'un trop plein de culture sur le regard affuté d'une femme empreinte de références ? Plus qu'une phrase prophétique, une phrase professionnelle, de critique d'art titillée par le portrait de Gogol. Dans tous les cas, la puissance illocutoire d’un simple mot ayant un pouvoir absolu sur l’existant.
Cette puissance performative du verbe, je l'avais déjà touchée du doigt en Angleterre. Revenue d’Inde, complètement paumée, je m’étais assise dans la rue, à côté de… je ne me souviens plus … en tout cas quelqu’un de la rue, et qui m’a dit :« Dans la vie, y’a juste deux chemins : un à droite, un à gauche. Suffit d’en choisir un ! »
Encore cette fulgurance dans le réel… qui rebat les cartes, change tout ce qui peut, tout ce qui doit… Il y avait un avant, il y eut le verbe : il y eut un après !
C’est là que j’ai commencé à vraiment interroger ces moments de vie (beurk l’expression !) qui constituent notre vivant musée intérieur (top l’expression !)… je crois qu’on en a tous !
Ces phrases performatives, venues tant de la « haute » culture que d’un type croisé au hasard dans la rue, ça n’a rien à voir avec qui les prononce !
Juste un moment de grâce durant lequel les planètes s’alignent.. interaction entre deux disponibilités.Et finalement, je suis même certaine que ces deux-là — Patricia Scott et ce clochard — sont à mille lieues d’imaginer l’impact qu’ils auront eu sur ma destinée.Ça s’est passé comme ça, c'était un lundi, un jeudi ou un vendredi , c'était à un moment donné, un moment très important mais eux : rien à battre. Cinq minutes après l’avoir dit, ils l’avaient déjà oublié !
UN NOUVEAU POIL POUR MON PINCEAU
Ça commençait à faire un peu gros doigt, avè des pâtés partout, du coup j’ai dessiné une page de mon carnet sur le tee-shirt d'une cousine pour m’acheter « ce » nouveau pinceau. Sa pointe est toute belle et toute pointue, comme un poil de cul (je parle pas de ma cousine) et là, comme tu peux le constater, il n’y a plus de zigouigouis… donc ouais !
Et pour les pages à venir, j’espère bien vendre un autre tee-shirt pour acquérir de l’encre un peu plus quali, parce que là, quand l’eau tombe dessus, ben ça dilue quand même pas mal. En plus, comme ça couvre pas trop bien, j’ai toujours peur de transpercer en remplissant à la flaque… m(erdem)iaou… et voilà... la tache !
C’est pas grave, ça f'ra un p’tit chat sauvage sur ma page !
Lors de ma dernière grafouille-bafouille, j’ai compris quelque chose, donc, deux points… petite confession !
J’avais douze ans et on allait à Paray-le-Monial… en famille !Paray-le-Monial, c’est quoi ?
Paray-le-Monial, lieu stratégico-cosmique à deux pas de chez vous !
« En Bourgogne-Franche-Comté, dans le doux giron de la Saône-et-Loire, Paray-le-Monial… écrin délicatement posé sur les bords d’une Bourbince dessinée par un peintre sous influence. Paray-le-Monial… Expérience mystico-architecturale de plus de 12 mètres, fromage, charcuterie, miel entre écluse et extase, terrine de campagne et petit vin local entre escargots de Bourgogne qui font la queue pour visiter et pigeons qui chantent du grégorien. »
Bref, pour nous, tous les étés : des sessions charismatiques qui n'en finissent plus !
Les enfants dans des groupes prient… prient beaucoup… beaucoup !!
Et tous les soirs, on retrouve nos parents avec les mains en l’air pour décrocher les ampoules ... Alléluia !
Au début, quoi... les trois quatre premières années (eh oui, du projet à long terme !), on était au camping. Sauf que : on s’est fait virer ! Je sais pas comment ni pourquoi, mais dans l’après-midi, on devait dégager. Donc on s’est retrouvé dans le stade, avec pas de douche, des algécos pour les chiottes, et un p’tit robinet à usage multiple : toilette intime / vaisselle communautaire… l’horreur !
Le stade était excentré de l’église qui restait ouverte toute la nuit avec le Saint-Sacrement qui clignotait. Et comme j’étais - à cette époque - très pieuse, voire carrément mystique, j’y trottais pour des nuits entières et assez souvent la journée.
Une nuit, alors je sais pas si c’était rêvé ou… je sais pas ! Je me suis vue ratatinée sur le pavé de l’église, les bras en croix, revêtue d’une toge blanche.
Je donnais ma vie, tout mon corps à ch’sais pas qui-quoi… mais une cause sans objet.
Le prêtage de serment, genre je rentrais dans la vie monastique (ce qui fort heureusement pour l’Église n’est jamais advenue)… mais baleck !
À cause de la prégnance (att.mot compliqué !) de ce souvenir, vers mes dix-neuf ans — j’habitais encore au quartier Saint-Jean de Lyon — j’ai voulu aller à Fourvière. C’était dans l’après-midi, il faisait beau, et il y avait confessions.
« Bonjour mon Père, petite question : je ne sais pas si je suis faite pour la vie monastique. »Il a soulevé son sourcil broussailleux de quatre-vingt balais, m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit :— Non, vous n’êtes pas faite pour la vie monastique.
Alors j’me suis dit : bon, ben… merci, ça c’est fait, passons à la question suivante !
Cette question : le fait qu’à partir de ce jour là, je ne me sois plus jamais posée « la » question alors qu'elle était centrale dans ma vie.
C’était pas très compréhensible, encore un truc que j'’avais besoin de grifouillonner dans ce petit carnet pas si secret.
Ces griffonnages/ griffoubouillonnages à l’encre pour tout plein de truc que je comprenais pas, c’était comme de donner à voir des « bizarreries » , à défaut de pouvoir les expliquer.
Dans ce registre, il y a chez moi un autre fantasme inexplicable que je tente de donner à voir par la gribouillation : j’ai été mère au foyer pendant vingt ans… eh oui les amis !
J’ai adoré ça, et ce que j’ai surtout adoré dans ça, c’est m’occuper de « mes » enfants à moi. Faire les repas, et tout et tout, alors que bon… j’étais pas trop ce qu’on appelle la reine aux fourneaux, genre y’en avait partout !
J’adorais simplement cette idée d’être, non pas « une » femme avec un nom et une histoire, mais « la » femme du foyer… M’occuper de mes enfants et c’est tout. Qu’ils soient bien habillés, bien peignés, et que quand on sorte, les passants disent : waouh, la famille Cyrillus !
Après, dans le réel, c’était autre chose, parce que bon… c’était un bordel inouï. J’étais en fait quand même très moi, malgré mes efforts… aucune organisation, que du fake !
Dans ce fantasme de madame-tout-bien, j’étais pourtant dévouée corps et âme, dispo H24, sans interruption… Ne pas penser à soi, surtout… jamais. Juste « ses » enfants. Donnée aux autres, à tous les autres. Et ça, je l’ai fait pendant vingt ans, à fond et… déso, mais j’ai adoré ! J’en viens même à penser qu’on est plus ou moins toustes né·es de ce fantasme, ou alors produit d’un idéal… mais là, ça craint !
Ce gros fantasme de la ménagère Moulinex des années soixante, en plein XXIe siècle, ce fantasme que j’ai eu et que j’admire encore beaucoup (pas chez moi, mais chez les autres), je veux plus le faire bien sûr, mais vu que je l’ai fait pendant des années et que j’ai aimé ça, je comprends celles qui — y’a beaucoup de jeunes qui sont encore là-dedans — celles qui disent : ah, je rêve d’avoir un mari, une belle maison, m’occuper de mes enfants… donc voilà, hein, ça existe !
De toute manière, un jour ça fini par finir. Et même avant le départ des enfants, parce qu’au bout de vingt ans de vie catholique quoi — les monastères, tout ça — ça peut commencer à gonfler grave la femelle, voire carrément l’agresser physiquement.
Et en fait, non ! C’est juste un fantasme BDSM comme un autre, avec des tenues particulières, des ambiances « monastique-soumission », jusqu’à la prise de voile du dimanche pour certaines. Et je respecte, quoi : ce délire de pouvoir de l’homme sur la femme… Ces costumes, toutes ces cérémonies, ces traditions… je comprends que ça puisse avoir du sens pour celles et ceux qui participent au délire. Mais consentement, quoi !
J’étais aussi très liée à un monastère de femmes ! À l’époque je ne voyais pas l’incohérence, mais dix ans après, je me dis : ah ouais, quand même… C’est juste un homme qui dirige des moniales (des femmes donc), pour son service perso. Rien d’autre que du bon gros patriarcat à l’ancienne… tout simplement !
Mais ça aussi, en fait, ça peut être vu comme un délire BDSM.
( à suivre … )



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